Scénographies

Parler d'espace scénique revient pour moi à parler d'emblée d'un espace imaginaire, sans référence à la réalité. Il n'y a donc non pas à créer un semblant de réalité, mais à créer un espace dans un espace : un univers, un rêve, un jeu. La scène imaginée peut déborder du cadre du temps et de l'espace : elle offre une expansion poétique et une multiplicité de signification.

Je prends souvent l'option, non pas de faire une photographie réaliste de la société, mais plutôt de plonger dans un univers magique où les choses se bousculent, se confrontent et s'intensifient dans une sorte de surréalité étrange. Il y a quelque chose de mort dans l'univers du théâtre, comme si la représentation avait un peu calciné les choses. Cet univers-là fait appel aux arts plastiques dans la mesure où l'ensemble s'élabore comme une installation et peut ensuite se développer par le jeu comme un organisme vivant.

La dimension surréaliste de la scénographie nous amène dans une certaine esthétique, non pas du plaisant à voir, mais d'une beauté qui résulte de la force archaïque des formes et des matières, une étrangeté qui balaie de notre esprit les couches formalistes et cartésiennes, une émotion qui émane des objets comme s'ils avaient une âme, une plasticité qui accède à l'intériorité du propos et non pas à son illustration. Nous ne voulons pas surdéterminer l'image et l'espace théâtral mais proposer un espace « organique » où le jeu puisse se développer et s'épanouir. Nous devons éviter un système esthétique rigide qui gèlerait le jeu et le contraindrait à une lecture univoque. C'est que, tant pour le spectacle lui-même que pour son élaboration, le travail de l'espace est aussi un travail sur le temps…